Un costume de nô pour rôles féminins jeunes (musumé, ko-omote, shizuka-gata)
1) Définition générale du Nuihaku
Le Nuihaku (縫箔) appartient à la catégorie des shōzoku (costumes de nô) intermédiaires, destinés aux rôles féminins et, plus rarement, aux jeunes hommes graciles. Sa structure :
- une base en kinuji (soie tissée plane, souvent satin ou habutae),
- décor réalisé par nui (broderie) et haku (feuille métallique), or ou argent appliquée,
- fonction : suggérer élégance, délicatesse et éclat juvénile, en contraste avec le karaori, plus dense et plus lourd, qui renvoie à une dignité plus mûre.
Le Nuihaku se situe donc entre la légèreté et le prestige, convenant aux jeunes héroïnes, aux courtisanes fines ou aux esprits de fleurs et de saisons.

2) Le cas du Kohakudan kusabana tanzaku yatsuhashimoyo
a) Description morphologique
- Kohakudan (紅白段) : alternance en bandes horizontales rouges et blanches, évoquant un rythme clair et frais.
- Kusabana (草花) : motifs floraux stylisés (souvent hagi, kikyo, tachibana…), suggérant nature saisonnière et féminité.
- Tanzaku (短冊) : rectangles de papier poétique, flottant comme des fragments de waka calligraphiés.
- Yatsuhashi-moyō (八橋模様) : motif du pont de Yatsuhashi, célèbre allusion au Ise Monogatari (épisode du kakitsubata). Le pont en zigzag devient un signe poétique du détour amoureux et de la poésie composée collectivement.
b) Port et silhouette
Le Nuihaku en question est moins volumineux qu’un karaori, donc compatible avec des mouvements gracieux (danse légère, scène d’entrée de musumé).
- Longueur ajustée : traîne discrète, gestion du shizuri plus simple.
- Superposition : porté sur un kosode blanc avec obi étroit, cheveux représentés par katsura noire longue (perruque de jeune femme).
3) Lecture dramaturgique
Le décor tanzaku + yatsuhashi renvoie immédiatement, pour un spectateur initié, à une mémoire poétique :
- le pont en zigzag → déplacement amoureux et détours de la vie,
- les fleurs (kusabana) → saison et jeunesse,
- les bandes rouges et blanches (kohakudan) → opposition vie/mort, passion/pureté, qui renforce les dilemmes des jeunes héroïnes.
Ainsi, un spectateur spécialisé perçoit immédiatement dans ce Nuihaku :
- une héroïne jeune,
- empreinte d’élégance poétique,
- dont la présence est marquée par la légèreté de la feuille métallique, qui accroche la lumière des torches ou des projecteurs contemporains.
4) Exemples de rôles associés
Ce Nuihaku a pu être porté dans des pièces où apparaissent des figures féminines nobles ou poétiques :
- Izutsu : apparition de la femme de Ariwara no Narihira, entourée d’allusions poétiques.
- Kakitsubata : esprit de l’iris, lié justement au motif du pont de Yatsuhashi.
- Aoi no Ue (version jeune) : possession dans sa forme la plus raffinée.
5) Particularités techniques
- Poids : environ 3–4 kg, donc maniable, favorisant le pas glissé fluide (suri-ashi).
- Brillance : la feuille métallique joue sur des reflets ponctuels, créant un effet de scintillement éthéré dans l’espace scénique sombre.
- Restaurations : aujourd’hui, les ateliers utilisent parfois des feuilles d’aluminium doré, plus légères, mais les spécialistes estiment que la texture de l’or battu d’époque donne un rendu plus doux.
6) Conclusion
Le Nuihaku, Kohakudan kusabana tanzaku yatsuhashimoyo n’est pas seulement un vêtement : il constitue un texte visuel, condensant la poésie du Ise Monogatari, la symbolique des couleurs et la codification des rôles féminins de nô. Pour l’œil averti, ce costume dit déjà l’âge, la condition et la trajectoire dramaturgique de celle qui le porte, avant même que le masque et la danse ne prennent le relais.